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Francis Crick, le découvreur avec Watson de la double hélice, se penchant à la fin de sa vie sur le mystère de la conscience écrivit "The astonishing hypothesis", un livre qui pose l'hypothèse que nos joies, notre libre-arbitre, nos sens, nos souvenirs, la perception de notre identité et de nos ambitions ne sont rien d'autre que le résultat de la cogitation d'un énorme paquet de neurones échangeant des courants bioélectriques et des molécules...(1) C'était il y a une dizaine d'années...
Qu'en est-il de l'analyse scientifique actuelle sur la conscience mais aussi sur le subconscient (dont on se souciait beaucoup moins jusqu'ici dans la recherche) ?
C'est à l'Inserm de neuro-imagerie que l'équipe du Professeur de psychologie cognitive au collège de France, S. Dehaene, travaille à l'élaboration d'un modèle de la conscience.
La conscience dite "conscience d'accès" est définie comme le phénomène cognitif qui conduit l'individu à devenir conscient des stimulations qu'il reçoit de son environnement comme le fait de voir un objet ou d'entendre un son. On considère qu'un individu est "conscient" d'une stimulation donnée lorsqu'il est capable de communiquer le fait qu'il a connaissance de celle-ci par la parole ou par le geste, c'est-à-dire lorsqu'il signifie qu'il a perçu la stimulation.
Un modèle inspiré du psychologue américain Bernard Baars dès 1998 avançait l'existence d'un "espace neuronal de travail global conscient" directement connecté à une multitude de "processeurs" sensoriels non conscients eux-mêmes connectés à un nombre important de modules spécialisés dans le traitement d'informations de types différents définissant l'environnement réel ou virtuel. Cette hypothèse est elle-même inspirée de celle du philosophe américain Jerry Fodor qui dès 1983 avait avancé la thèse de la "modularité de l'esprit". Celle-ci suggérait que la plupart des compétences cognitives (langage, audition, vision, toucher, etc..) sont sous-tendues par des "modules" ou petits systèmes cérébraux aux fonctions très spécialisées et autonomes.
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Ainsi deux grands systèmes semblent coexister dans le cerveau: un système constitué de processeurs cérébraux autonomes qui traitent en parallèle les différentes stimulations perçues (sons, odeurs, couleurs, reconnaissance des traits d'un visage, etc.) de façon totalement NON consciente et un système de travail conscient reliant entre eux les processeurs spécialisés autonomes.
Ce n'est que lorsqu'une stimulation parvient à envahir l'espace de travail conscient qu'elle devient consciente. En revanche, si son traitement reste confiné à un ou quelque processeurs spécialisés, cela ne suffit pas à la rendre consciente. En parallèle et en permanence une multitude de processus NON conscients se déroulent de façon automatique.
L'ampleur de la tâche implique, semble-t-il, que nous ne pouvons être conscients pleinement que d'une seule chose à la fois. C'est la caractéristique séquentielle de l'attention.
Pour devenir consciente, une stimulation doit donc emprunter un trajet bien particulier. La passerelle unique qui permet le passage vers l'espace de travail global conscient est considérée aujourd'hui comme la zone de l'attention. Une zone située dans le sillon cingulaire et dont les neurones déchargent sur une même gamme de fréquences en synchronicité nous permet de focaliser nos ressources cognitives sur la perception d'un seul stimulus. Si l'attention est mobilisée par exemple vers l'environnement visuel, l'information passe alors des neurones du cortex visuel à l'espace neuronal global conscient.
Porter attention à une stimulation donnée (visuelle par exemple) se traduit par l'envoi d'un message en provenance de l'espace global conscient vers les neurones du processeur visuel autonome concerné. L'attention va chercher l'information et la remonte vers l'espace de travail global conscient. L'attention permet la conscience...
Si l'attention n'est pas tournée vers un autre processeur spécialisé comme les sons, ou un souvenir, dans ce cas la perception reste inconsciente.
Si l'information remonte correctement dans l'espace de travail conscient il se produit dès lors un renforcement, une boucle de recherche accrue d'information dans le processeur concerné. L'espace de travail conscient augmente en retour l'activité des neurones du processeur visuel concerné. Et, chacun stimulant l'autre, c'est une véritable réverbération de l'information qui s'opère. C'est la sensation de conscience qui s'installe. Une fois l'information devenue stable et durable, celle-ci peut être communiquée via l'espace de travail conscient à d'autres processeurs sensoriels afin de compléter l'analyse et la sensation globale de la réalité en train de se passer et ainsi d'adapter éventuellement une réponse adéquate.
Beaucoup de processeurs ne sont pas reliés à l'espace de travail conscient comme les informations sur la pression artérielle ou encore la variabilité du coeur. Les informations qu'ils traitent pour le bon fonctionnement du corps n'ont donc aucune chance d'être perçues consciemment.
Où se trouve l'espace de travail conscient ? Il semble qu'il soit localisé dans les aires frontales, pariétales et le cortex cingulaire. Cet espace semble doté d'une forte densité de neurones dits à axones longs ce qui lui permet de se connecter avec des zones éloignées les unes des autres dans le cerveau. (2)
De récentes études en neuro-imagerie ont révélé que le cerveau d'une personne au repos, ou qui somnole (durant le sommeil ou une anesthésie générale) reste très actif et consomme une énergie aussi grande sinon supérieure à celle utilisée par le cerveau lorsqu'il réagit consciemment. C'est la découverte d'un nouveau réseau, le réseau du mode par défaut. Quel est son rôle exact, c'est encore trop tôt pour le préciser mais on soupçonne qu'il orchestre la façon dont le cerveau organise les données et les souvenirs de même qu'il coordonne les différents modules cérébraux participant à la programmation des tâches. Il préparerait ainsi le cerveau à passer d'un mode non conscient à une activité consciente.
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C'est en mesurant l'oxygénation du cerveau que l'on peut estimer l'activité cérébrale exacte et que l'on a réalisé que ce que l'on avait pris pour un bruit de fond ( !) était en réalité le témoin d'une très importante activité permanente...Il semblerait que 80% de toute l'énergie consommée par le cerveau soit localisée dans des circuits cérébraux du mode par défaut. Cette activité intrinsèque a été nommée l'énergie sombre du cerveau par analogie à l'énergie sombre du cosmos dont la densité est gigantesque et permet d'expliquer les propriétés de l'Univers comme son expansion et son accélération croissante mais qui est jusqu'ici invisible aux astronomes. (3)
Avez-vous déjà réalisé ce qui se passe lorsque vous conduisez votre voiture et qu'en vous rendant à votre bureau ou un lieu habituel et pensant à la réunion qui va commencer dans une heure vous adoptez un mode anticipatif et visualisez la conversation que vous allez avoir ? Sans vous en rendre compte vous conduisez votre voiture, vous vous arrêtez aux feux, vous tournez aux bons endroits et 10 minutes après votre conscience réalise que pendant tout ce temps vous n'étiez plus là... La question est alors : qui conduit votre véhicule ? Votre esprit a pris les commandes automatiquement et vous a permis de placer votre attention dans le champs de conscience anticipatif c'est-à-dire que votre attention s'est déplacée dans un espace qui ne concerne pas les commandes neuro-motrices nécessaires au pilotage de votre voiture, vous avez développé les questions et les réponses, vous avez même imaginé l'environnement de la réunion et cadré cette extrapolation en situation réelle. Pendant tout ce temps votre esprit en mode totalement subconscient conduisait votre véhicule !!! Mais alors, me direz-vous, qui a décidé de stopper la voiture au feu rouge ? Votre subconscient bien sûr !
Notez que cette expérience ne fonctionne pas si vous conduisez dans un pays étranger. Elle prouve que vous avez utilisé des données pré-enregistrées et que vous possédez une sorte de mini système cartographique en mémoire dans votre cerveau. Durant ces quelques minutes, votre attention a été sollicitée ailleurs dans l'espace anticipatif et après une rapide pré-programmation, votre esprit subconscient a été activé et a sollicité automatiquement une cartographie sommaire des endroits où vous devez passer pour atteindre l'objectif de la fin de votre itinéraire. Vous avez aussi sollicité votre système moteur pour utiliser à bon escient vos jambes et vos bras pour freiner et tourner aux bons endroits et votre vue pour vérifier la bonne suite de la conduite. Mais en même temps vos aires visuelles étaient elles aussi mobilisées dans un espace anticipatif totalement virtuel...
Ceci vous donne une idée des capacités incroyablement puissantes de votre cerveau et peut-être d'une des activités du réseau du mode par défaut. (4)
Il est un fait aussi intéressant à noter, c'est la dégradation des informations au travers des différentes passerelles sensorielles. Sur la totalité des informations provenant de notre environnement, dix milliards de bits par seconde atteignent la rétine au fond de l'œil. Le nerf optique n'ayant qu'un million de connexions de sortie, seuls six millions de bits par seconde quittent la rétine et seulement 10.000 bits par seconde atteignent le cortex visuel situé dans la région occipitale... L'information arrivant dans les aires cérébrales qui traitent les perceptions conscientes ne dépasse pas 100 bits par seconde ce qui est très peu. Le réseau du mode par défaut joue peut-être aussi un rôle ici. Dans le cortex visuel le nombre de synapses dévolues à l'information visuelle entrante représente moins de dix pour cent, la majorité des synapses reliant les neurones entre eux. (3) Il n'est pas improbable que l'organisation neuronale provoque une surcompression des encodages d'information qui au long de son trajet de l'environnement extérieur aux zones de traitements profondes cérébrales se dégrade un peu comme un fichier compressé se verrait surcompressé artificiellement pour mieux permettre son utilisation et lui redonner toute son ampleur au moment voulu...
Lorsque d'autres régions sont activées par une tâche particulière (lecture à voix haute par exemple) l'activité du réseau par défaut diminue. Il semble que des relais majeurs du réseau du mode par défaut soit localisés dans les aires du cortex pariétal médian et préfrontal médian. Le cerveau au repos a donc une activité autonome impliquant de multiples aires ! Il semblerait aussi que le réseau du mode par défaut agisse comme un chef d'orchestre empêchant que les signaux d'un système n'interfèrent avec ceux d'un autre système. Dès que la vigilance décroît l'activité intrinsèque augmente. A l'inverse, quand le mode par défaut ne domine pas, l'attention augmente automatiquement... (3)
On voit ici deux modes se dégager l'un préparant l'épanouissement de la CONSCIENCE et l'autre, probablement mille fois plus complexe, permettant d'apercevoir certains modes d'organisation qui sous tendent la façon dont le SUBCONSCIENT s'auto-organise.
Même si la recherche scientifique se développe et commence à percevoir les mécanismes et les procédures d'analyse qui parcourent les vastes territoires définis par la complexe architecture cérébrale, on reste sceptique sur une explication purement mécanique du fait du peu de place dans la matière grise d'une part et des résultats incroyables qui permettent d'évaluer l'étonnante puissance de l'esprit. Il suffit de s'intéresser à la construction d'une intelligence artificielle pour réaliser à quel point ce n'est pas demain la veille !
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Un million d'années de sélection naturelle, d'apprentissage, de reconnaissance d'expériences, de formes et de conditionnements ont sans doute permis d'intégrer directement dans le code génétique relatif à l'architecture cérébrale des capacités automatiques (comme la reconnaissance du visage humain par le nouveau-né). Ceci permet évidemment de gagner une place énorme et de limiter le nombre de modules neuronaux. Ceci dit, rien n'implique que le processus de conscience soit traité dans le cerveau seul. Une autre hypothèse émise par le physicien Rupert Sheldrake serait que le cerveau agit comme une antenne et capte des informations placées dans un champ vital externe ce qui permettrait aussi de gagner une place gigantesque dans la boîte crânienne. Pensez au poste de télévision : ce n'est pas parce que les images apparaissent sur l'écran qu'elles sont toutes traitées dans le téléviseur. Celui-ci ne fait que les capter et les traiter pour les rendre apparentes... Selon Sheldrake le cerveau pourrait fonctionner aussi comme une antenne captant des informations situées dans un champ vital naturel : le champ du vivant. Dans ce champ se trouveraient des informations en provenance de tous les organismes vivants.
Les expériences des laboratoires SANDOZ dans les années 50 sur le LSD ou certaines plus récentes sous hypnose ont permis de rendre compte de l'existence de cette banque d'information uniquement en principe accessible au subconscient. (5) Le réseau du mode par défaut serait-il chargé de traiter ce flux permanent, sorte de système de référence pour la navigation dans le réel... (?) Passionnant sujet... A suivre !
(1) FRANCIS CRICK L'hypothèse stupéfiante - A la recherche scientifique de l'âme PLON Edition
(2) SERGENT, C., BAILLET, S., DEHAENE, S. Timing of the brain events underlying access to consciousness during the attentional blink. Nature Neuroscience, 2005, 8, 1391-1400.
(3) Raichle ME. The Brain's Dark Energy. Science 2006 314:1249-1250.
(4) STEPHANE DUMONCEAU - KRSMANOVIC La révolution “Audiocaments”